C’est le viaduc de tous les records, une prouesse technologique exceptionnelle, et une véritable œuvre d’art, qui enjambe les grands causses sans abîmer le paysage. Le plus beau viaduc de France, il est à Millau, au sud de l’Aveyron. Petite visite du chef-d’œuvre par Ariane, auteur du blog Itinera Magica.
Millau, un souvenir d’enfance
J’étais devant ma télé le 16 décembre 2004, lorsque Jacques Chirac a inauguré le viaduc de Millau et que je regardais, bouche bée, cet oiseau de fer léger s’élancer au-dessus du vide, défier la gravité et placer la France en tête de tous les records. 2460 mètres de long, un tablier à 270 mètres de haut au-dessus de la vallée du Tarn, un point culminant à 343 mètres… les chiffres me donnaient le vertige. Et le pont était si beau, avec ses haubans clairs, comme les voiles d’un bateau lancé dans les airs, que je me promettais de l’arpenter un jour.
La porte magique du sud Aveyron
J’arrive dans l’Aveyron en ce mois de juin 2017, et très vite, c’est le viaduc qui m’accueille, comme une porte monumentale. C’est une impression fabuleuse d’arriver dans le département et de tomber sur ce pont inouï – on se dit que l’Aveyron est un pays magique, hors normes, on se sent aussitôt happé. Je le traverse en voiture, résistant à la tentation de trop ralentir, de regarder partout sauf la route, hypnotisée par le pont. Grâce à une légère courbure de la route, on voit toutes les piles s’enchaîner, sans que la première cache les suivantes. L’impression visuelle est prodigieuse : on croit que le pont est infini, qu’on conduira pour toujours dans les nuages.
Sur l’aire du viaduc de Millau
Je m’arrête sur l’aire du viaduc de Millau, très agréable car faisant la part belle à la célébration du pont… et à la cuisine locale. C’est probablement la seule aire d’autoroute de France où on peut manger pour 10 euros une création de chef trois étoiles, un délicieux capucin entièrement rempli de produits locaux aveyronnais. Un film de présentation du viaduc nous plonge dans le noir et dans les airs. Les images sont spectaculaires : le viaduc en toute saison, sous l’orage, au crépuscule… Mais il me manque plus d’explications : je voudrais tout savoir sur la construction, les travaux, le projet… Pas de problème, la visite guidée d’une heure répondra à toutes mes questions.
La visite guidée du viaduc
Pourquoi le viaduc ?
Revenons au milieu des années 80. A cette époque, le viaduc n’existe pas, et l’autoroute s’arrête de chaque côté de la vallée – les voitures descendent des grands causses et doivent traverser Millau pour reprendre leur route. Le bouchon qui se forme paralyse complètement la circulation dans toute la ville, empoisonne les habitants et rend fous les vacanciers coincés pendant plus de trois heures dans la ville. En 1987, on commence les études : pourrait-on imaginer faire autrement, contourner ou enjamber la vallée ? Quatre tracés sont en compétition. Si le viaduc l’emporte, c’est qu’il est le moins cher, le plus beau, celui qui a le moins d’impact sur l’environnement. Il faudra cependant quatorze ans d’études. En 2001, les travaux commencent.
Un chantier monumental
Trois ans de travaux, quatre cent millions d’euros, investis par la compagnie Eiffage : c’est finalement bien peu quand on pense à l’ampleur de la tâche. Jusqu’à six cent ouvriers ont travaillé chaque jour à ce projet gargantuesque. Lors de la visite guidée, on nous explique le processus. D’abord monter les sept monstrueuses piles qui jaillissent vers le ciel, enchâssées dans des blocs de béton grands comme un court de tennis et épais de six mètres, à une profondeur allant jusqu’à dix-neuf mètres. Puis lancer le tablier d’acier (qui porte la route) de pile en pile, avec un translateur, une machine fabuleuse pouvant faire coulisser le monstre de béton lourd de 36 000 tonnes. Pour rejoindre les deux piles centrales, les plus distantes l’une de l’autre, il faudra trois jours de travail acharné nuit et jour, centimètre par centimètre, jusqu’à ce que le pont soit achevé. Les deux bords du tablier se rejoignent fin mai 2004 – un moment de haute précision et d’intense émotion. Puis monter les haubans, qui donnent au viaduc son allure de bateau fantastique, et appliquer 14 tonnes de peinture claire qui aidera le pont à se fondre parfaitement dans le paysage. Lors de la visite guidée, vous verrez une bonne partie du matériel utilisé, les machines énormes, les outils rares. Le viaduc de Millau, c’est le génie humain déployé dans l’espace. Au Moyen-Âge, on a eu les grandes cathédrales, au XIXe siècle, on a eu la tour Eiffel, et au début du XXIe siècle, on a eu le viaduc de Millau.
Risques et fantasmes
On se demande toujours combien de gens sont morts durant la construction d’un pont pareil. Réponse : 0. Les conditions de sécurité draconiennes ont permis d’éviter toute catastrophe. A l’époque de la construction, il existait des ascenseurs dans les piles pour aller en haut – malheureusement, ils ont été condamnés à la fin du chantier. Mais il est toujours possible pour les ouvriers d’entrer à l’intérieur du tablier, qui est creux ! Imaginez vous glisser dans un boyau métallique à 245 mètres de hauteur, sous une autoroute…
Bien sûr, j’ai demandé ce qui se produirait en cas de grand vent. Mais le viaduc de Millau est extrêmement bien conçu, protégé des vibrations et des effets de résonance. Il n’a encore jamais été fermé à la circulation à ce jour, n’ayant pas subi de vent trop violent. Jusqu’à des rafales de 200km/h, le viaduc ne subira aucun dommage. Pour le détruire, il faudrait des pointes de vent à 350km/h… ce qui ne s’est encore jamais produit en France à ce jour. Autant dire que vous pouvez emprunter le viaduc tranquille, d’autant qu’il est garanti 120 ans par Eiffage.
En revanche, il existe un risque bien réel : les gens qui font n’importe quoi. Lors de l’ouverture du viaduc, les patrouilleurs devaient intervenir sans cesse, car des piétons s’arrêtaient en plein pont, remontaient la bande d’arrêt d’urgence et faisaient des photos, oubliant qu’ils étaient sur l’autoroute. A l’aube, des « base jumpers » viennent parfois risquer leur vie en se jetant du haut du pont en combinaison spéciale, ce qui est bien entendu strictement interdit. Le seul danger du pont, c’est la fascination qu’il exerce…
Continuer la découverte
La visite guidée du viaduc est un moment précieux pour satisfaire votre curiosité et aller au plus près de l’ouvrage, dans des endroits normalement inaccessibles au public. Après avoir tant rêvé du viaduc depuis 2004, j’ai adoré cette rencontre. Et pour finir la journée et voir le soir tomber sur les haubans, rendez-vous au magnifique village de Peyre, d’où la vue est imprenable… J’ai pris un verre sur un méandre du Tarn, avec le pont majestueux sous les yeux, environné de parapentes colorés.
Mais le viaduc de Millau n’était que la première étape de mon séjour en Aveyron, la porte des merveilles. Hauts plateaux, gorges spectaculaires, villages historiques, activités nature, patrimoine inimitable, retrouvez la suite de mon séjour aveyronnais sur mon blog : Les merveilles du sud de l’Aveyron.